Un debriefing qui tourne au délire

La secrétaire me laissa rentrer immédiatement dans le bureau, en me murmurant un truc nerveux du genre "on n'attendait plus que vous". Cette pauvre fille était totalement stressée. Il faut dire que père n'y allait pas de main morte avec elle, dans tous les sens du terme j'imagine, et de toute façon je n'avais aucune envi d'en connaitre les détails. Souvent c'était sordide, mieux ne valait pas entrer dans son bureau si la secrétaire y était.

Je n'y fit pas attention et rentrai dans la pièce de mauvaise humeur. Mon sandwich n'avait vraiment pas suffit à combler le vide de mon estomac.
Le bureau en question était beaucoup moi vide que je l'eut cru. Pas moins de six paires d'yeux se posèrent sur moi dont trois que je ne connaissais pas.
A mon plus grand malheur j'aperçus Kaya et Asch cote à cote, l'une qui me lança un lourd regard et l'autre qui m'évita. Décidément, j'avais un gros problème avec les vampires…

Mon père ne me décocha pas même un sourire, me faisant clairement comprendre que le travail n'interférait pas avec sa famille. Il était clair qu'ici je n'étais plus sa fille qui avait survécu mais seulement l'aspirante espionne Kewell.

- Bien mes voleurs, nous allons pouvoir commencer le briefing, annonça le patriarche avec une voix imposante, tout d'abord les présentation. j'imagine que vous ne vous connaissez pas tous ici.

Nous nous lançâmes alors des regards perplexes, il était vrai que je me sentais mal à l'aise entourée par tant de voleurs inconnus.
Soma continua alors son discours.

- Tout d'abord, voici les deux frères Seymour, Nelro le grand roux et Bell le petit blond. J'imagine que vous avez déjà entendu parler de leurs prouesses au comptoir d'Holtezeau. Bell fabrique de la drogue de synthèse et Nelro la revend sur le marché noir. De vrais petits génies du commerce.

Il s'avança vers la droite et désigna un grand brun apparemment plus âgé que les autres, la petite quarantaine probablement.

- Voici Flynn Leigh, le Maitre par excellence du renseignement, en vue de devenir goupil. demandez lui quoique ce soit et il vous le dira.

Puis il se plaça devant moi surement pour faire une petite description de mes faibles compétences. Franchement je ne voyais pas ce que je pouvais bien faire ici parmi toutes ces voleurs de haut vol.

- Elizabeth Kewell, experte des armes à feu en tous genre, du fusil à pompe jusqu'au sniper, sans oublier ses compétences de conductrice de course. D'ailleurs elle vient de braquer à elle toute seul une importante bijouterie de Lagen sans aucune victime et vous l'avez surement entendu auparavant, elle vient de survivre à la mort pas plus tard qu'hier.

Tout le monde se tourna vers moi l'air ébahi. A cause de cela ils allaient me prendre pour quelqu'un d'invisible, j'espérais presque leur faire peur. Si seulement ils savaient. A moins qu'ils ne me regardait pour mon braquage. Là je dois dire que j'étais assez fière de moi.

Enfin tout le monde sauf Asch bien entendu. D'ailleurs je ne put m'empêcher de remarquer le regard insistant de mon père posé sur lui. Lui qui était un vampire, l'avait-il senti?

Le fait est que la patriarche continua sa petite description comme si de rien n'était.

- Et enfin, l'un des couples les plus puissants de la noblesse Volkonène, Kaya Malininski et Asch Ielenko. L'une experte en arme blanche, l'autre en art martial, tous les deux d'excellents guerriers sans aucune pitié.

Couple?! C'est marrant, ce n'est pas vraiment le mot qui les qualifierait le mieux. En même cela expliquerait beaucoup de choses. Tout ce que je voulais, c'était ne pas me mettre sa fiancée à dos parce qu'il m'a fait boire de son sang, moi je ne lui avais rien demandé!

- Maintenant que les présentations sont faites, je vais vous révéler le but de votre présence ici. Je compte créer une section d'élite de la guilde, une sorte de commando d'intervention spéciale qui sera directement sous mes ordres et qui n'agira que sur les grosses affaires. Je vous ai sélectionné selon vos compétences, et chacun d'entre vous sera un élément essentiel de cette équipe que j'ai nommé Section Chess, à l'image des Échecs, il faut savoir jouer avec tous ces pions pour gagner.

La nouvelle laissa un froid sur nous tous. Faire parti de ce genre d'équipe était vraiment un honneur pour nous, voleur de petite frappe pour la plupart.
Soma continua son explication détaillée, tandis que je commençais à suer à grosses gouttes. C'était étrange mais je sentais des frissons me traverser de part en part et en même temps j'avais l'impression d'avoir chaud. J'imagine ma tête, je devais être pâle comme un linge.
Alors les effets secondaires m'attaquaient maintenant, joie! Ils n'aurait pas pu venir avant, ou quelques heures plus tard?!

Personne ne remarqua ma faiblesse du moment, ce qui n'était pas plus mal. Je crus un instant que mon malaise se dissipait mais ce fut au tour de ma vision de se troubler légèrement puis très vite je ne voyais plus rien. Les sons devinrent feutrés et s'éteignirent peu à peu.

C'est alors que je sentis mon corps s'écrouler sur le sol, sombrant dans quelque chose d'inconnu.

Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait.
Non tout ça me paraissait fou.
J'avais senti le sol se dérober sous mes pieds et pourtant je n'avais rien percuté.
Le décor s'était métamorphosé en une sorte de rue sombre et pavée qui donnait sur une grande bâtisse soutenue par d'immense colonnes… plutôt ostentatoire d'ailleurs. Mais quel était ce lieu? On dirait les quelques ruines de Kapen dans un très bonne état… J'étais perplexe… En effet, c'était vraiment Kapen, en plus… hum disons neuf.
J'avais une sensation étrange, j'étais bien dans ce qui semblait être mon corps mais je ne pouvais pas le commander. J'étais une sorte de spectatrice dans ma pauvre tête et pourtant c'était bien mon corps.
J'entendis alors une voix masculine derrière moi.

- Kallen! cria la voix, attend moi!

Je, enfin mon corps se retourna, faisant face à une silhouette familière. Non, c'était impossible! C'était… père! Vêtue d'une manière plutôt archaïque. Surtout il paraissait humain. La peau presque halée par une exposition au soleil pourtant improbable contenu de son vampirisme… Le pire dans tout ça, c'était que ses cheveux étaient bruns très foncés or je l'avais toujours connu poivre sel.
Et puis pourquoi Kallen?
La seule conclusion logique qui se forma dans mon esprit me parut pourtant complètement folle. Peut être que je délirai, une sorte de fièvre post traumatique du au sang ingurgité?
Mais si c'était vraiment ça… Une sorte de réminiscence de mon corps qui se souvenait enfin de son ancienne vie. Tout ce qu'Ils avaient fait sur moi alors n'avait peut être pas été vain… Toutes ces souffrances endurés et ce n'était que maintenant que ces foutus souvenirs revenaient… Quelle plaie. Moi je voulais tout oublier, ne jamais les vivre, c'était à cause de leur manque que j'étais l'expérience ratée, la dernière du lot. Une simple enveloppe vide défectueuse incapable de se rappeler de quoique ce soit. L'expérience 17 n'était peut être pas un échec après tout… La marque sur ma nuque témoignait pourtant toujours douloureusement de cette époque.

Autant vivre pleinement ce souvenir après tout.
Je m'avançai jusqu'à Soma, mais j'avais comme soif, quelque chose d'incontrôlable qui s'emparait de ma gorge. J'étais presque à l'agonie, une fatigue chronique me brisait les jambes. Apparemment Kallen n'était pas dans son meilleur jour. Je compris alors la situation… A l'origine, j'étais sensé être une sang mêlée… une vampire à part entière... Voilà autre chose qui avait dysfonctionné chez moi. J'étais née humaine.

C'est alors que je tombais sur le sol avec cette soif de plus en plus prenante qui exerçait une violente compression sur ma poitrine. Je ne pensais plus qu'à ça, une sorte d'obsession. La possibilité de me nourrir de l'humain qui s'inquiétait à côté de moi me traversa vite l'esprit, jusqu'à prendre mon contrôle.
Soma se rua vers moi me prenant dans ses bras en me secouant dans tous les sens. Il devrait fuir, sinon j'allais le saigner à blanc.

- Kallen!? hurla ce dernier complètement paniqué, Qu'est-ce qui se passe?! Dis mois ce que je dois faire!

Je ne pensais plus qu'au sang, rien d'autre. Tenter de lutter contre cette soif était impensable. Soma se contenta de déboutonner le col de sa chemise laissant apparaitre son cou. Mes yeux furent immédiatement hypnotisé par sa jugulaire. J'entendis le sang faire des aller retour dans son corps, son cœur qui le propulsait de plus en plus vite, le rythme des pulsations m'obsédait littéralement.
C'est alors que je murmurai à Soma quelques mots pour tenter de le dissuader de me donner son fluide sanguin.

- Non, Soma, je refuse! Je ne peux pas te mordre, si je le fais, ça risque fort de se savoir... laisse moi!

- Pour que tu tue quelqu'un ensuite non merci! Ne t'inquiète pas je suis un roc! Mon sang est tout ce qu'il y a de plus frais!

- Tu crois vraiment que personne ne va remarquer deux petites morsures dans ton cou? C'est un crime, c'est... Je vais... Non...

- De toute façon, tu n'auras pas le choix, se contenta-t-il d'ajouter froidement.

L'humain saisit ma dague et l'appuya légèrement sur son coup. Le sang perla immédiatement. Je plantais alors mes canines dans son cou, me délectant de chaque infimes gouttes de son sang, comme si je n'avais rien bu depuis des jours. Cela dura bien plusieurs minutes. Je devais probablement lui en avoir pris beaucoup trop.

- Qu'est-ce que tu m'as fait faire, maugréai-je, je sais que tu n'avais pas le choix et je t'en remercie, mais si jamais quelqu'un venait à le découvrir, je serai probablement condamné à mort... Et toi tu serais emprisonné à vie... Le sang humain c'est...

- Le plus nourrissant, je sais. Je t'avais bien dit qu'un jour je deviendrai ton esclave sanguin...Ne trainons pas, finit-il par dire en se reboutonnant le col de sa chemise.

Le souvenir si je puis l'appeler ainsi s'effaça immédiatement. Je rouvris les yeux et je me retrouvais de nouveau dans le bureau du patriarche.

- Lux, tu pourrais répondre à la question quand même, hurla d'ailleurs ce dernier avec une certaine lassitude.

Alors, c'était tout? J'avais juste eu une absence de quelques minutes?! Etais-je en pleine hallucination? Surement. Comment savoir ce qui était réelle dans tout ça?! Etais-ce simplement un souvenir ou une totale invention de mon esprit tourmenté… Néanmoins si c'était vrai… Alors comme ça Père avait été l'esclave de sang de mon ancien corps…

- Euh, c'était à propos de quoi cette question? demandais-je alors l'air coupable.

Après la fin de la réunion, le patriarche congédia tout le monde sauf Asch. Personne ne semblait avoir remarquer cette petite entrevue et pourtant elle semblait avoir son importance.
Kaya qui était de nature méfiante, resta postée derrière la porte faisant confiance à son ouïe vampirique.

Le patriarche s'avança vers le fougueux vampire.

- Ecoute moi jeune maitre vampire, déclara-t-il d'une voix dure, je sais bien que tu n'es pas ressorti d'ici depuis ton arrivée à l'Hôtel mais il semblerait que l'on te veut du mal…

- Expliquez vous, lança Asch intrigué le patriarche ne l'impressionnant guère.

- On a retrouvé un corps humain massacré d'une telle façon que tout le monde pense que c'est un vampire qui en à l'origine et cela depuis ton arrivée. Je pense que l'on a fait exprès, depuis que les gens savent qu'il y a vampire d'orchestrer une telle scène… or je peux t'assurer qu'aucun vampire n'aurait pu faire cela.

Voilà qui était étrange, commettre un tel acte signifierait clairement vouloir faire croitre encore plus la haine des humains à l'encontre des vampires. Asch était vif d'esprit, la conclusion a en tirer était simple, voire même trop évidente et pourtant. Il regarda de nouveau le patriarche avec attention.

- Comment pouvez vous en être sur néanmoins? Je suis d'accord avec vous sur un point, nous les vampires sommes beaucoup trop intelligent pour laisser de si grossières traces derrière nous. Les humains oublient que nous ne tuons pas directement, sauf en dernier recourt, non, nous préférons de loin prendre un humain de compagnie. Au pire on séquestre quelqu'un mais on ne le tue pas tout de suite… Vous en conviendrez?

Le patriarche eut un sourire qu'il tenta de masquer.

- Bien entendu jeune vampire… J'ai pu le constater moi même il y a deux cent ans… Mais crois moi, je connais le nombre exacte de vampire présent dans la capitale et ils sont tous dans ma guilde. Bien sur, il y a Kaya et maintenant toi, et une autre petite vingtaine, rien de très important. Je suis un vieux vampire, je ressens ces choses là…, affirma-t-il amusé. Et au cas ou, j'ai mes espions qui sillonnent la ville jour et nuit… L'information est devenue notre domaine numéro un, tu sais.

Asch était perplexe. Ce vampire prétendait tout savoir… Quel orgueil…
Soma, qui adorait de plus en plus la froideur de son interlocuteur continua néanmoins sa tirade.

- Je pense que tu as compris comme moi qui était à l'origine de ce meurtre pour te faire accuser toi…

- … Le pouvoir lui même, conclua Asch.

- En effet, reprit Soma, l'ennui ici et tu es d'accord avec moi j'imagine, c'est que la guilde est un organisme neutre et je compte bien à ce qu'elle le reste. Le gouvernement sait bien qu'il y a un réseau de la pègre parallèle même si il ignore directement notre existence. Aucun représentant de la loi ne nous a jamais ennuyé et honnêtement de ce point de vue la dictature est la meilleure chose qui soit arrivé à la guilde. Nous, les voleurs, nous fichons pas mal de la pauvreté et la faim qui règne dans le pays, nous sommes égoïstes et cupides mais pas xénophobe, ce serait un comble. Mais je dois dire que si jamais le gouvernement s'attaque à mes voleurs aux canines longues souvent les meilleures éléments, je devrais tout de même réagir. C'est pourquoi je te demanderais de ne pas trop tenter les représentant de la loi, tu vois… Histoire que je n'ai pas à faire tuer des gens inutilement.

- Vous savez patriarche, cela peut vous paraitre étrange mais je n'ai rien en particulier contre la dictature. Même si c'est la guerre et même si elle prône notre destruction, elle nous considère comme une menace terrible, elle a peur de nous alors que franchement nous n'aurions jamais attaqué le Siegburg. Notre fierté reste là, vous comprenez, elle n'est pas entachée. Alors que sous l'empire, nous n'étions que les chiens de compagnie de l'empereur, rien de plus, il nous a toujours considéré ainsi… et c'est bien triste. Voilà pourquoi j'ai une once de considération pour le pouvoir.

- L'orgueil des vampires, n'est-ce pas? N'étant pas né ainsi je ne le possède pas, mais je parviens à le comprendre. Bien jeune vampire, je voulais juste m'assurer que tout était clair de ce point de vue, tu restes dans l'ombre le temps que cela se calme.

Pourquoi le prévenir lui directement? Il n'était pas le seul vampire dans la guilde… Il avait surement peur de sa réputation sulfureuse. Le surnom du loup du Ieltsinegrad lui avait été donné par le humains…
Asch, assez satisfait de lui même après avoir salué le patriarche, s'apprêtait à sortir de la pièce lorsque ce dernier l'interpella une dernière fois.

- Au faite jeune loup, je tenais à te dire que je sais ce que tu as fait avec Lux… Et pourtant je n'arrive pas à t'en vouloir. Sans toi, ma fille bien aimée ne serait plus et je crois que j'en mourrais. Cependant, je comptais te prévenir qui si tu continues à jouer à ce petit jeu avec elle, je crains que votre amitié en prenne un coup.

Asch prit de nouveau une expression étonnée. Il ne voyait pas vraiment où le patriarche voulait en venir.

- Je.. enfin nous ne sommes pas vraiment amis, j'avais juste une dette envers elle.

- Justement, tu joues avec le feu, et j'ai bien peur que cela brûle ma petite Elizabeth. Prend bien gare à toi.

Des menaces? Un vrai père envers sa fille en réalité.
Asch afficha un bref rictus et s'engouffra dans le couloir sombre de la guilde claquant la porte du bureau du patriarche.