Rencontre insolite

Andreï était vert de rage, il était sorti effarer des bureaux de l'administration, en claquant la porte pour ne pas claquer quelqu'un d'autre. Mais se faire remarquer dans un lieu public, qui plus est gouvernementale et si prêt du Président était une mauvaise idée, qui plus est lorsque l'on fait partie d'un réseau de la résistance.

Une fois dans la rue, il marcha d'un pas plus que déterminé, en serrant les dents et les points, il murmurait dans sa barbe des paroles incompréhensibles. Sa résolution intérieure devait rendre ses traits et sa physionomie agressive puisque la plupart des gens s'écartaient sur son passage. Il se disait intérieurement :

Comme pouvait-on refuser ce genre de papier à un chef d'entreprise sans qui la capitale tournerait au ralentit. Sans les entreprises de transport sécurisé comme la mienne, pas de ravitaillement régulier en produits de luxe à haute valeur ajoutée jusqu'à Lagen, pas de bijoux du Volkona, pas de vin de Syrdovie, rien ! Et par conséquent, pas de marchant, pas de boutique et pas de bourgeois, que la plèbe, les miséreux et les dépôts de mendicité !

Et parlons-en justement des bourgeois ! C'est gros tas de graisse, pignoufs de la république donnant le bras à leurs femmes rutilantes, connasses emperlousés traînant des chihuahuas, qui veulent voir du pays sans en voir la misère. Comment feraient-ils pour se rendre de leur somptueuse villa à trois pas de la plage au Lieger qu'un pauvre mineur mettrait 30 ans de salaire avant de pouvoir se l'offrir, à leur magnifique pavillon citadin en pleine capital, à deux rues des quartiers commerçant. Hein, comment feraient-ils pour passer dans Kapen sans se faire dépouiller, enlever et séquestrer, dans le meilleur de cas? Je vous le demande.

Bref, sans société de transport sécurisé, le dynamisme économique de la pseudo République tombait à la renverse. Plus de bourgeois pour dépenser de l'argent qu'ils n'auraient pas gagné puisqu'il n'y aurait plus personne pour produire ses articles qui de toute façon ne se vendraient pas ! Cercle vicieux que nous seul, avons le pouvoir de rompre, nous sommes le maillon essentiel de la chaîne !

Alors si le dynamisme économique s'achève je vous demande bien ce qu'il restera à ce pays en ruine ! C'est la seule chose que la dictature de Rayan est pu apporter. Andreï cracha par terre, releva la tête et aperçu à quelques pas de lui, un parfait exemple de ses fameux bourgeois auquel il avait fait référence. En y regardant de plus prêt, ils lui rappelaient quelque chose …

Pour Andreï c'était le pompon, la cerise sur le gâteau. Après les odieux déboires avec l'insupportable pantin du bureau des obtentions de papiers officiels, il devait maintenant faire face aux répugnants, aux abjects von Hofanzlei et à l'hypocrisie dont ils étaient le synonyme pour le chef d'entreprise.

En effet, la bonne santé de sa société repose en grande partie sur la réputation qu'on lui accorde, et donc sur le bouche-à-oreille. Et comme les bourgeois sont les premiers à faire appel à ce genre de service, Andreï était obligé de bien se conduire avec eux, voir même pire, de rentrer dans leur jeu. L'hypocrisie et les apparences étaient de toute façon les deux seuls maîtres mots de la réussite dans ses classes aristo.

Qui plus est, il ne s'agissait pas de n'importe quels nantis, mais des von Hofanzlei, sûrement les pires d'entre tous ! Ou bien les meilleurs dans leur art, cela dépend du point de vue.
Ils étaient l'incarnation de la pire des bourgeoisies au monde ! Mais aussi celle de tout ce qui n'allait pas dans ce monde aux yeux d'Andreï.
Ils faisaient partie de ceux qui profitent le plus de la misère de leurs employés afin de pouvoir étaler aux yeux de tous, la dernière voiture à la mode, leur villa inutilement gigantesque. Ils affichaient aussi sans honte leur soutien au pouvoir actuellement en place : ce chien de Rayan, mais aussi à cette religion lugubre qui s'est transformée en groupuscule extrémiste et discriminant, pourchassant sans relâche tous ceux qui s'oppose à leur monopole.

Dans certaines religions, un pourcentage non négligeable des bénéfices personnels des grands marchands doit êtres reversé au pauvre. Cela ne ferait de mal à personne si la Lumanévra s'y mettait elle aussi.

Soudainement, Andreï eut un flash lorsqu'il entendit la question du Mr von Hofanzlei. Après tout, il pouvait peut-être bien y avoir quelque chose de positif à tirer de cette entrevue. Il prit alors un air plus engageant et répondit à Mr von Hofanzlei :

- Le plaisir, j'espère que vous rigolez très cher, je me trouve ici, je reviens du palais gouvernemental ou l'on a refusé de me délivrer les papiers permettant de passer les barrages sans trop d'encombres ! C'est une honte, ha vraiment. Si seulement je pouvais connaitre une personne assez aimable pour pouvoir appuyer ma demande auprès des autorités compétentes. Enfin, censées l'être.

Lorsqu'il entendit cette phrase, Andreï bouillit intérieurement. Ces bourgeois imbéciles ne comprenaient décidément rien. Son tic habituel, associé à la contrariété se manifesta logiquement : le muscle de sa paupière gauche ce contracta une infime seconde, il pensait alors :

- Mal pris, je m'y serais mal pris !! Nan mais il se fout de ma gueule cet abruti !! Calme, rester calme, surtout ne pas s'énerver. Contrôler ce tic, surtout ne rien laisser paraitre et répondre poliment. Au bureau des autorisations ils m'ont bien fait comprendre qu'il fallait être dans les petits papiers du président ou de l'un de ses proches. Ca n'a rien à voir avec le mérite, le métier ou la façon de s'y prendre !!

Puis il tenta de se calmer. Devoir demander un service à ce genre de personne lui pesait, mais là il en avait vraiment besoin, pour des inertes supérieurs. En plus possédant était tombé dans le panneau grossier que lui avait tendu Andreï sans même s'en apercevoir. Il fallait en profiter, il continua en faisant preuve d'une hypocrisie sans borne :

- C'est bien trop d'honneur que vous me faites de bien vouloir m'accorder ainsi de votre précieux temps. Vous me proposez bien plus que je n'aurais osé seulement l'espérer. En réalité, je pensais qu'il vous aurait suffi de verser à mon dossier une sorte de lettre de recommandation dans laquelle vous appuieriez le bien fondé de ma demande ainsi que le sérieux de ma société tout en rappelant à quel point notre cher Président Rayan est intelligent et combien cet état lui doit.

La dernière phrase avait bien faillit ne jamais sortir tellement elle était écœurante pour le chef d'entreprise, mais la flatterie était devenue si commune, et aussi si utile, que son absence aurait posée problème. Il fallait espérer que cette entrevue finisse bientôt et surtout qu'elle serve à quelque chose ...

Andreï était satisfait. Les bourgeois étaient décidément les plus faciles à manipuler. Ca en devenait presque ennuyeux. Mais il avait réussi à obtenir ce qu'il voulait, c'était le principal. Maintenant il fallait écourter cette entrevue horripilante sans donner l'impression de vouloir filet au plus vite. Il répondit donc, toujours avec ce ton mielleux :

- Merci infiniment, je ne mérite pas une telle attention de votre part. Je pense que vous pouvez donner cette lettre directement au bureau en charge de ce genre d'affaire. Maintenant, je vous prie de bien vouloir m'excuser, mais je dois retourner au bureau m'occuper des prochains convois. Encore merci de votre sollicitude, et à bientôt je l'espère.

Andreï savait à quel point les bourgeois aiment à être flatté, cela lui pesait, mais il devait le faire. Le couple nanti le salua d'une manière hautaine, comme à leur habitude. Puis chacun repris son chemin. Andreï pensait, tout en se dirigeant vers le manoir de son hypothétique future belle famille :

- Quelle bande d'abrutis, et dire que c'est sur eux que repose l'avenir de notre nation. C'est pitoyable, il faut changer ca au plus vite.